Le mensonge prend son envol et la vérité boite après lui (Jonathan Swift). Le livre est un miroir de l’âme (Marcel Proust)

Le mensonge prend son envol et la vérité boite après lui (Jonathan Swift). Le livre est un miroir de l'âme (Marcel Proust)

Le bloc-notes de Michel le Grand

« Le mensonge prend son envol et la vérité boite après lui », dit un aphorisme de l'écrivain irlandais Jonathan Swift (1667-1745). Il y a trois siècles, cette affirmation était une hyperbole, mais aujourd’hui, elle décrit bien les médias sociaux. Toutes les plateformes qui amplifient les contenus provocateurs risquent de servir de caisse de résonance aux fausses nouvelles. Et comme on le sait, une fausse histoire a beaucoup plus de chances de devenir virale qu’une vraie. Cela s’applique à tous les domaines : économie, terrorisme et guerre, science et technologie, divertissement et politique.

Il existe près de deux milliards de sites Web sur Internet et plus de la moitié de la population mondiale surfe sur Internet : chaque seconde, plus de deux millions et demi de messages électroniques sont envoyés dans le monde et 70 000 recherches sont effectuées sur Google. Les fausses nouvelles font partie intégrante d’Internet, elles envahissent les pages Internet, se propagent comme des virus sur le web, tiennent tête aux grands journaux et parviennent à créer un impact médiatique au niveau mondial. Les fausses nouvelles ont la prérogative de déformer la réalité des faits et de cacher la vérité, trompant ainsi le lecteur. Grâce à la liberté qui caractérise la nature du Web, la désinformation trouve un terrain fertile sur Internet, où elle parvient à se propager comme une traînée de poudre et à entrer dans le bon sens de l'utilisateur lecteur. Le Web représente un véritable océan de contenus dans lequel les frontières entre informations vraies, déformées ou complètement inventées deviennent floues, parfois presque inexistantes.

Alors, le parti du mensonge sur Internet a-t-il raison ? Question épineuse. Bien entendu, la lutte politique et, désormais, la lutte contre la science menée par le mensonge sur la scène nationale et internationale sont favorisées par trois facteurs : la possibilité de l’anonymat ; la possibilité de toucher rapidement un grand nombre de personnes : le phénomène des « cascades » d'information (le canular qui devient viral). On est donc loin de la « cyberdémocratie » imaginée par Nicholas Negroponte et Gianroberto Casaleggio. Comment, alors, pouvons-nous vaincre le mensonge facile des professionnels du clic ? Ceux qui sont favorables à des mesures restrictives à la liberté de communication, dans le noble but d’endiguer le faux, doivent savoir qu’ils risquent ainsi de faire taire la vérité. C’est le mécanisme que Cass Sunstein a défini comme « l’effet paralysant ».

Selon la philosophe Franca D'Agostini (Menzogna, Bollati Boringhieri, 2012), on peut plutôt adopter le vieux principe de « laisser pousser la mauvaise herbe » pour que le blé puisse pousser avec elle. En fait, la vérité n’a pas à craindre la propagation du mensonge, puisque celui-ci en a encore besoin pour vivre et prospérer. La tradition l'explique très bien, décrivant le menteur comme prisonnier de ses tromperies. En effet, s’il existe plusieurs manières de mentir, alors que la vérité n’en est qu’une, chacune de ces manières contient en elle la vérité qui peut la détruire de l’intérieur. Et c'est ce que devrait normalement faire un esprit critique bien entraîné par une bonne éducation, à condition qu'il ait l'envie et le temps de faire taire ceux qui sont finalement ses singes, ou ses bouffons : les menteurs.

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Le 6 décembre 1864, John Ruskin, esthète fasciné par les préraphaélites anglais et dégoûté par les misères de la société industrielle, tient une conférence à l'hôtel de ville de Rusholme, près de Manchester. Face aux parents qui lui demandent quelle éducation est la plus utile à donner à leurs enfants, il revendique la valeur autonome de l'éducation. Car seule l’éducation crée un espace utopique d’égalité, où les hiérarchies sociales peuvent être inversées. D’où l’appel à une politique visant à remplacer les armes par des livres. Une semaine plus tard, toujours à Manchester, Ruskin tient une deuxième conférence. Au centre se trouve précisément le rôle des femmes et l'idée que, grâce à la lecture, elles peuvent accéder au « pouvoir royal ».

Le critique d’art britannique trouvera en Marcel Proust un admirateur et traducteur exceptionnel. En 1900, à la mort de Ruskin, il lui dédia deux nécrologies ; entre 1904 et 1906, il traduisit les deux discours de Manchester. Dans l'introduction du premier (Sésame. Les trésors du roi), il rejette la conception utilitaire et pédagogique – y théorisée – de la lecture comme dialogue avec les amis du livre. En fait, pour lui, cette conception est en conflit avec « ce merveilleux miracle de la lecture qu'est la communication au cœur de la solitude ».

Néanmoins, après avoir critiqué la comparaison entre le livre et l'ami, Proust la reprend et la développe à sa manière : « L'amitié, l'amitié envers les individus, est probablement une chose frivole ; et la lecture est une forme d'amitié. Mais au moins c'est une amitié sincère, et le fait qu'elle s'adresse à un mort, à un absent, lui donne quelque chose de désintéressé, presque de touchant […]. Dans la lecture, l'amitié est immédiatement ramenée à sa pureté primitive. Envers les livres, aucune courtoisie. Avec ce genre d'amis, si on passe la soirée ensemble, c'est parce qu'on en a très envie. Sérieusement, la plupart du temps, on ne les quitte qu’à contrecœur […]. Toutes les angoisses de l'amitié disparaissent au seuil de cette amitié pure et sereine qu'est la lecture".

Le thème crucial du silence est donc proposé à nouveau dans une version originale de la relation avec l'ami-livre, qui doit garantir un maximum de transparence et de liberté : « L'atmosphère de cette pure amitié est le silence, plus pur que les mots. En fait, nous parlons pour les autres, mais nous gardons le silence sur nous-mêmes. De plus, dans le silence il n'y a aucune trace, comme dans les mots, de nos défauts, de nos cajoleries […]. Le langage du livre lui-même est pur (si le livre mérite ce nom), rendu transparent par les pensées de l'auteur qui l'a modifié de tout ce qui ne coïncidait pas avec lui, au point d'en faire son image fidèle". Selon Proust, le livre est donc une sorte de « miroir de l'âme » ; et la lecture est une expérience tout à fait intime et personnelle, un voyage dans lequel, en rencontrant les autres, on se reconnaît – et on se change – soi-même. Un voyage aux limites du temps et de l’espace, où surgissent des mondes virtuels infinis et où la réalité s’ouvre à l’horizon du possible.

Après tout, il existe depuis l’Antiquité un médicament efficace contre l’anxiété ou plutôt contre le tumulte des passions qui nous assaille et risque de nous submerger dans les heures les plus sombres de notre existence. Ce n'est certes pas le seul et ne garantit pas des guérisons prodigieuses, mais, contrairement aux antidépresseurs, il ne provoque pas de dommages collatéraux : il s'agit bien de lire un bon livre.


Cet article est une traduction automatique de la langue italienne d’un article publié sur le magazine Début Magazine à l’URL https://www.startmag.it/mondo/la-falsita-spicca-il-volo-e-la-verita-la-segue-zoppicando-jonathan-swift-il-libro-e-uno-specchio-dellanima-marcel-proust/ le Sat, 16 Sep 2023 05:30:30 +0000.