Toutes les erreurs de la France contre la pandémie

Toutes les erreurs de la France contre la pandémie

Trois sociologues, auteurs du livre "Covid-19, une crise organisationnelle", analysent les dysfonctionnements observés dans la réponse des pouvoirs publics à la pandémie

Trois sociologues, spécialistes des catastrophes et co-auteurs du livre "Covid-19, une crise organisationnelle", analysent, dans un entretien avec "Le Monde", les dysfonctionnements observés dans la réponse des pouvoirs publics aux pandémie.

Les sciences sociales et humaines commencent à faire entendre leur voix pour analyser la pandémie de Covid-19. Dans un livre stimulant, Covid-19, une crise organisationnelle (Le Presse di Scienze Po, 136 pages, 14 euros), quatre spécialistes de la crise et des catastrophes apportent leur lecture originale des événements.

Henri Bergeron, Olivier Borraz (directeurs de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations – CSO – de Sciences Po), Patrick Castel (directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques au CSO) et François Dedieu (coordinateur de recherche à Inrae) révèlent de nombreux dysfonctionnements dans la gestion de crise. Les trois premiers, pour Le Monde, en tirent déjà des leçons.

Comment évaluez-vous la décision de couvre-feu pour l'Ile-de-France et huit métropoles?

Oliver Borraz : Cette annonce inspire un sentiment de déjà vu. À bien des égards, cela ressemble à l'annonce de confinement il y a sept mois. Premièrement, aucune ne faisait partie de l'arsenal de mesures envisagées pour gérer une crise sanitaire. Aucune de ces deux mesures n'est en soi une mesure de santé publique. Deuxièmement, ce sont deux mesures sur lesquelles on dispose de très peu de connaissances, qu'il s'agisse de leurs effets sur la maîtrise d'une épidémie ou de leurs «effets secondaires», sanitaires, économiques ou sociaux. Cela est d'autant plus surprenant que la science est mise en avant pour justifier ces décisions, sans qu'elles n'aient jamais été réellement testées ou étudiées.

Une troisième similitude tient au fait que les deux décisions ont été prises de toute urgence, sans anticipation ni préparation. Dans les deux cas, les services de l'Etat n'ont que quelques jours pour définir les modalités de mise en œuvre.

Enfin, l'argument selon lequel «les autres pays le font» justifie la décision. Il est intéressant de voir que les États, qui peinent à se coordonner au niveau international en matière de santé, finissent par converger par mimétisme pendant cette crise. Cependant, il faut souligner une différence importante par rapport à mars: les défis économiques et sociaux sont venus tempérer les actions essentiellement curatives et sanitaires, même si l'on reste dominé par l'idée que les morts du présent comptent plus que les morts de l'avenir.

Nous n'avons donc rien appris?

OB Le paradoxe et la constante de ces crises est que nous ne savons pas tirer les leçons des crises passées. En juillet 2019, Edouard Philippe [alors Premier ministre] met à jour une circulaire de 2012 sur la gestion de crise [celle qui crée une cellule interministérielle de crise (CIC)], mais sans tirer les leçons de la mauvaise gestion de l'ouragan Irma en 2017 [qui a dévasté , le 6 septembre, les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy].
De plus, lorsque Covid-19 arrive en 2020, l'État ne s'appuie même pas sur cette circulaire pour trouver la réponse! Au contraire, il improvise en créant de nouvelles organisations. Et aujourd'hui, on constate qu'aucune leçon n'a été tirée de la gestion de la crise entre mars et mai: par exemple, la démarche reste centrée sur l'hôpital et continue de négliger tous les autres acteurs du système de santé (cliniques privées, médecine urbaine , réseaux de santé …).

Quelles sont les conséquences?

OB Prenons par exemple la cellule interministérielle de crise. Activé tardivement, il est immédiatement équipé d'autres cellules qui ne correspondent pas aux protocoles auxquels ont été formés et habitués les responsables de la gestion de crise dans les ministères. Ils ont les pires difficultés à l'accepter. Ils ne comprennent pas comment et où prendre les décisions auxquelles ils ne sont pas associés.

Ainsi, la décision de réquisitionner des masques pour les personnels de santé ne prend pas en compte le fait que de nombreux autres secteurs en ont besoin pour continuer à travailler, comme l'énergie ou les transports. Nous avons trouvé de nombreux exemples de telles décisions prises sans consultation, qui ont amplifié les effets de la crise.

Henri Bergeron : Ce qui est paradoxal, c'est la conviction que les problèmes de coordination peuvent être résolus en créant de nouvelles structures. C'est typique de la technocratie française: accorder un pouvoir de coordination aux structures, aux organisations et à la technologie, certes un peu excessif.

Comment expliquer ces nombreux dysfonctionnements?

HB Entre autres défauts, nous avons été affectés par cette multiplication de nouvelles organisations, comme le conseil scientifique, au lieu de s'appuyer sur des structures existantes. Cela signifie beaucoup de choses. D'une part, la volonté du président et du Premier ministre de ne pas se lier les mains en travaillant avec les organisations existantes. Ils craignaient que les solutions et les routines de ces organisations, ou les intérêts de ces acteurs établis, ne leur soient imposés. Deuxièmement, depuis l'élection d'Emmanuel Macron en 2017, il y a clairement une méfiance à l'égard de la haute administration.

Enfin, il existe une méfiance à l'égard de la gestion de crise, suite à la mauvaise gestion de la tempête Irma, attribuée à tort ou à raison à la sécurité civile. Cette méfiance pourrait expliquer pourquoi, dans la crise du Covid-19, le plan de lutte contre la pandémie de grippe n'a pas été activé depuis janvier ou que la sécurité civile a été exclue.

Mais n'y a-t-il pas aussi des responsabilités individuelles derrière ces dysfonctionnements collectifs?

HB Bien sûr, il y a des gens dans les organisations. Mais nous nous intéressons aux effets structurels, qui se manifestent principalement sous deux formes.

Le premier est la culture de l'organisation qui nous fait voir ou ne pas voir certaines choses: les signes avant-coureurs de janvier et février ne sont pas interprétés comme suffisamment sérieux par des services qui se sont habitués à des menaces qui sont finalement moins grave que prévu. Le second est le tissu des soi-disant relations de pouvoir et d'interdépendance qui influencent les actions. Il y a suffisamment de répétitions de gestes de gestion de crise pour penser que ces effets sont primordiaux.

N'est-il pas un peu facile de frapper la bureaucratie, les technostructures…?

HB Le terme «bureaucratie» n'est en aucun cas péjoratif pour nous. Il fait référence à un mode d'organisation qui a sa propre logique et qui peut être efficace pour gérer un ensemble de problèmes. Ce que nous critiquons, c'est le geste technocratique de croire que la technologie ou l'organisation est suffisante pour permettre la coordination entre les individus. C'est aussi cette tendance à penser que «l'intention suivra» et donc à négliger les considérations de mise en œuvre, certes moins nobles que la création de structures, de plans stratégiques ou de nouvelles applications … mais qui s'avèrent décisives pour l'efficacité des politiques publiques .

Nous ne sommes pas sur le terrain de la remise en cause de l'Etat, de la technocratie, d'une sorte d'Etat profond mal défini … Il faut se rendre compte que cette crise a été largement gérée par la politique, plutôt que par la bureaucratie, qui a souffert d'une sorte de méfiance, si pas de méfiance. Il y a eu une gestion parallèle très politique de la crise, basée sur de nouveaux mécanismes comme le conseil scientifique ou la mission Castex en charge de la décongestion.

L'administration, pour sa part, a le sentiment d'avoir bien géré et bien géré la crise. Il ne s'est pas «effondré», comme par exemple au Japon lors de l'accident de Fukushima en 2011, aux États-Unis après l'ouragan Katrina en 2005, ou même en France localement lors de la tempête de 1999. Mais on a l'impression de devait souvent faire cavalier seul pour résoudre les problèmes qui se posaient.

Vous reconnaissez que l'hôpital, pour sa part, a très bien géré cette crise. Pouquoi?

Patrick Castel : Tous les assistants que nous avons interviewés nous ont dit que c'était la plus dure et la meilleure expérience de leur vie. Mais cet héroïsme ne suffit pas à expliquer la coopération observée. Il a besoin de conditions structurelles pour s'épanouir. Il ne s'agit pas seulement de traitements, de techniques… C'est aussi une bonne coordination, et notre tâche est précisément d'identifier les facteurs déterminants de la coopération.

Nous avons ainsi identifié quatre conditions favorables. Premièrement, le pouvoir est passé des directeurs aux médecins, qui ont eu beaucoup plus d'autonomie pour organiser la gestion de crise. Deuxièmement, la question des moyens n'est plus un problème puisqu'elle est "à tout prix". Les dépenses restent justifiées, mais le contrôle budgétaire est moindre. De plus, grâce à l'activation du plan blanc, d'autres activités ont été suspendues, offrant une flexibilité pour faire face à l'afflux de patients. Enfin, la «guerre» habituelle entre les services aux patients a disparu. Tout le monde était bouleversé.

Combien de temps cela prendra-t-il?

PC Déjà dans les mois de mai-juin, au cours de ce qu'on a appelé la détente, des tensions sont réapparues, avec par exemple des médecins qui voulaient garder l'activité non-Covid-19 de leur service et ne voulaient plus renoncer à prendre des patients parce qu'ils ont vu les conséquences sanitaires secondaires de la pandémie. Les coupes budgétaires et le contrôle des dépenses sont également revenus cet été.
Nous entrons donc dans une période qui risque d'être plus difficile, moins brutale mais plus épuisante car elle s'enregistrera avec le temps et nécessitera de concilier le fonctionnement ordinaire des hôpitaux avec la prise en charge des patients Covid-19. Ceci est plus généralement vrai pour tous les services de l'Etat: ils devront concilier le retour à la normalité et la gestion d'une situation qui reste critique.

Quelles possibilités d'amélioration proposez-vous?

OB Après chaque crise, il y a des rapports d'inspection et des enquêtes parlementaires qui distinguent l'événement, indiquent la responsabilité, mais ne tirent pas de leçons pour préparer les prochaines réponses. Il est nécessaire d'insérer les preuves de l'expérience dans une approche cumulative, mettant en série les différentes crises et prenant en compte les récidives qui se produisent à chaque fois.

Quant à l'éducation des élites, ce n'est pas tout, mais elle doit être l'occasion de confronter les étudiants aux sciences, et aux sciences sociales en particulier. En général, les sciences humaines et sociales ont été peu mobilisées pendant cette crise, alors qu'elles ont beaucoup à dire, par exemple, sur la résistance des citoyens à certaines informations ou injonctions. N'oublions pas que les dynamiques de propagation du virus sont aussi des dynamiques sociales. Le raisonnement était trop technique (capacité à tester) ou centré sur l'hôpital. La formation doit également apprendre à interagir avec l'incertitude et la complexité.

Comme, comment?

HB Ce n'est pas facile. Une façon de faire est de créer des tensions. A nos élèves, nous apportons différents regards disciplinaires sur le même objet. Par exemple, au travail, des spécialistes du droit, de l'anthropologie, de la sociologie, de l'économie seront sollicités … Il est également possible, après avoir présenté quelques outils techniques comme la comptabilité, d'inviter des spécialistes à critiquer ces outils, à démontrer qu'ils ne sont pas neutre, mais propose plutôt des visions politiques du social. La tension produit une sensibilité à la complexité.

Quel est le pronostic pour l'après-crise?

HB Le pire serait de se rappeler qu'une administration a échoué et que son nom est changé, c'est-à-dire se contenter de faire comme on le fait souvent avec des mesures cosmétiques.

Dans nos conversations, nous avons ressenti chez nos interlocuteurs le désir de partager cette expérience sans précédent. Ils sont conscients que l'on ne tire pas suffisamment de leçons des crises passées. Et les voir archiver leurs documents, leurs e-mails … On sent que dans cette crise il y a déjà l'anticipation de la façon dont elle sera regardée plus tard

(Extrait de la revue de presse étrangère de l' Epr Comunicazione )


Cet article est une traduction automatique de la langue italienne d’un article publié sur le magazine Début Magazine à l’URL https://www.startmag.it/mondo/errori-francia-pandemia-coronavirus/ le Sun, 25 Oct 2020 06:40:13 +0000.